Grossesse inattendue

Grossesse inattendue

J’étais assise dans le cabinet du médecin, les mains tremblantes, tenant les résultats du laboratoire. La pièce baignait dans un silence feutré, seulement troublé par les voix étouffées des patients en transit vers leur salle d’attente. Au loin, le tintement d’un téléphone me parvenait, discret. Mes idées peinaient à se rassembler, j’étais envahie d’une inquiétude sourde. Mon cœur battait trop vite. On dirait que quelque chose ou quelqu’un me serrait la poitrine. J’étais enceinte. Et au lieu de ressentir la joie ou l’émerveillement que l’on attend d’une telle nouvelle, je n’éprouvais qu’un vide immense, une solitude glaciale, une honte difficile à nommer.

Lorsque mes règles ne sont pas venues ce mois-là, je n’y ai pas prêté grande attention. Mes cycles étaient irréguliers, capricieux. Mais quand un second mois s’est écoulé sans que j’aie eu besoin de mes serviettes hygiéniques, j’ai commencé à m’inquiéter.

Ce matin-là, j’ai saisi l’occasion offerte par la visite de mes parents. J’ai laissé mes deux filles entre leurs mains attentionnées et me suis dirigée vers la clinique la plus proche. Mon téléphone et mon portefeuille glissés dans mon sac, j’ai marché d’un pas lent, l’esprit ailleurs, insensible aux feuilles bruissantes sous la brise, aux couleurs vives de l’automne. Resserant mon écharpe, tenant le col de mon manteau comme un talisman, j’avançais.

La clinique était calme. Quand la réceptionniste m’a demandé, à voix haute, la raison de ma visite, j’ai simplement répondu que c’était privé. Elle m’a regardée, irritée :
— Je dois indiquer la raison de votre visite.
Je l’ai fixée, silencieuse.
— Vous voulez l’écrire ?, a-t-elle finalement proposé.
J’ai saisi le bout de papier, griffonné quelques mots, et le lui ai tendu. Elle a tapé sur son clavier sans lever les yeux. Elle m’a tendu un petit flacon, m’indiquant les toilettes. Lorsque j’ai déposé l’échantillon dans le bac, une infime lueur d’espoir vacillait encore en moi…

Mais cette lueur d’espoir n’a pas duré longtemps. Le médecin est apparu, tout sourire, pour me féliciter. J’ai forcé un sourire, ne voulant pas lui dire ce que je ressentais.

Et que ressentais-je exactement? Sur le chemin du retour, j’ai tenté de sourire. D’imaginer que cette vie naissante était un miracle. Mais j’avais peur.

Nous n’arrivions déjà pas à joindre les deux bouts. Nous n’avions pas d’économies, pas de place dans la maison. Où allions-nous mettre ce bébé? Je venais à peine de décrocher un emploi…

En franchissant le seuil de la maison, j’ai trouvé mon mari dans la cuisine.
— Où étais-tu ?, m’a-t-il demandé.
— À la clinique, ai-je répondu.
— Tout va bien ?, a-t-il lancé distraitement.
— Je suis enceinte, ai-je lâché.

Aussitôt les mots prononcés, je les ai regrettés. J’aurais dû le préparer avant. Mais comment ? Mais ce fardeau était trop lourd à porter seule.
Mon mari m’a regardée, figé, le visage fermé. Le silence s’est installé, lourd, oppressant.
— C’est la pire nouvelle de ma vie, a-t-il finalement murmuré avant de quitter la pièce d’un pas sec.

Je me suis laissée tomber sur le petit matelas pliable protégé dans sa housse de transport. Le regard vide. Le cœur glacé. J’aurais voulu pouvoir me protéger moi aussi. De tout ce poids, de toutes ces tâches, de toutes ces éclaboussures.

Soudain, je pensai aux filles, et mon âme s’adoucit. J’eus un élan reconnaissant envers mes parents. Je n’entendais pas les enfants — sans doute étaient-ils au parc avec eux. Mon sourire s’évanouit. J’étais seule, physiquement et émotionnellement.

Je savais ce que pensait mon mari. Que je pouvais régler tout cela, simplement, rapidement. En mettant fin à cette grossesse. Mais jamais je n’en serais capable. Comment renier ce petit être qui grandissait déjà en moi ? C’était impensable.

Je songeai encore à mes parents. Quelle serait leur réaction en apprenant la nouvelle ? Ils avaient toujours été là pour moi. Si généreux. Mais eux aussi vieillissaient. Ils faisaient déjà tant pour moi.
« Ce serait bien de t’arrêter à seulement deux enfants », m’avaient-ils dit un jour. « Vous ne devriez pas en avoir plus, vu votre situation. Et nous, nous ne pouvons pas vous aider davantage. »
Et après un silence, ma mère avait ajouté: « Tu as besoin de souffler. Ne te fais pas ça. »
Ils avaient raison… Ils allaient être si déçus…

Les larmes me montèrent aux yeux. Et avec elles, une colère sourde. Une colère contre un monde qui enferme les femmes dans des choix impossibles, et les hommes aussi. Un monde où être pauvre devient un fardeau honteux.
« Être pauvre est un crime. » Cette phrase résonna en moi, douloureusement vraie.



Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *