En français, s’il te plaît

Je suis assise dehors, en face de mon aînée qui peine à écrire son nom. Je ne dis rien quoi que je sois très frustrée. Cela fait des jours qu’on pratique l’orthographe de son prénom, mais à la voir peiner dessus, on dirait qu’elle voit ces lettres pour la première fois… Il fait beau dehors. C’est le début de l’été. Le gazon est en bon état. Mon mari fait beaucoup d’efforts ces derniers temps : il passe du temps à tondre le gazon, à l’arroser, à arracher les mauvaises herbes… Il a même demandé à notre voisin d’arracher ses pissenlits pour éviter que leur pollen se propage sur notre gazon à nous. J’espère que le voisin l’a bien pris. Très chaleureux à notre déménagement dans le quartier, il était devenu, depuis, très froid à mon égard. Mais bon, je n’ai pas le temps de socialiser de toute façon. Je m’en fiche donc un peu.
Mon aînée est maintenant en âge d’entrer en maternelle. Depuis qu’elle est née, je ne lui parle qu’en français en espérant la voir parfaitement bilingue un jour. Je ne me suis jamais inquiétée de l’anglais qui, je le savais, viendrait tout naturellement. Alors que mon mari en faisait une tonne du fait que notre fille ne parlait que le français et ne semblait pas pouvoir converser en anglais. J’avais alors essayé de le rassurer en lui disant que c’est avec le français qu’elle aura plus de difficultés au fur et à mesure qu’elle grandira. Dans un environnement majoritairement anglophone, c’est le français qu’elle risque de perdre. Et bien entendu, aujourd’hui, mes paroles font l’effet d’une prophétie. Je parle en français à ma fille, elle me répond en anglais. Je deviens une maîtresse d’école qui lui répète en boucle : ‘’En français, s’il te plaît’’.
J’ouvre le Vocabulaire progressif du français, niveau intermédiaire que j’ai placé sur la table en guise d’inspiration. Moi-même, je perds mon français à force de n’entendre que l’anglais à longueur de journée.
J’aurais voulu vivre dans un environnement complètement francophone pendant que mes enfants sont jeunes pour m’assurer que l’apprentissage de la langue se fasse tout naturellement. En tant que francophone moi-même, je me sentirai mal si mes enfants écorchent cette langue que j’aime.
À travers la fenêtre, je peux voir la petite bibliothèque que j’ai montée, il y a maintenant un an, où j’ai placé les quelques titres que j’apprécie tout particulièrement :
– Un merveilleux petit rien
– Un livre à surprise pour bébé
– Les premiers sons de bébé
– Je t’aime de la tête aux pieds et Bonne nuit, je t’aime de Caroline Jayne Church
Je trouve ces quelques livres de français utiles dans l’apprentissage de la langue et faciles d’accès pour étoffer son vocabulaire.
La porte du jardin s’ouvre et mon mari sort portant la cadette sur ses hanches. Mon ainée en profite pour se lever et se plaindre qu’elle est fatiguée. Et moi qui voulais faire de l’enseignement à domicile. J’échoue misérablement à jouer la maîtresse avec ma fille. Je crois qu’il lui faudra aller à l’école. Mon mari lui demande de retourner au travail. Il s’efforce dans son accent que je trouve mignon : ‘’Tu dois travailler fort et parler en français à maman.’’ J’apprécie son aide.