Enceinte de certitudes

J’étais allongée par terre devant le berceau que j’avais acheté pour ma fille, ne sachant pas encore qu’il serait rarement utilisé. Pendant les mois qui suivraient, ma fille dormirait dans mes bras, sur le fauteuil moelleux que j’avais trouvé d’occasion, ou dans mon lit. Et cela, je n’osais le dire à personne, de peur d’être jugée.
Allongée sur le côté, au sol, mon ventre immense tendu devant moi comme si l’enfant était déjà là, une extension de moi-même, je regardais la boîte de couches EcoPea que je venais de recevoir. Mon mari l’avait montée avec un regard que j’ai cru désapprobateur. Désapprouvait-il de cet achat? Ou était-ce moi-même qui me jugeais et imaginais alors sa désapprobation ? Ma propre conscience me reprochait ces achats que, clairement, nous ne pouvions pas nous permettre.
Je secouai la tête, comme pour effacer ses pensées tristes qui me troublaient l’esprit.
Ce sont des nécessités, pensai-je. Et je ne ferai aucune concession quand il s’agit de mes enfants. Je ne voulais que le meilleur pour eux : des vêtements en viscose, en lin ou en coton, des lotions vérifiées par l’EWG, des dentifrices sans fluor…
La semaine dernière, j’avais eu une discussion assez vive avec ma belle-mère. Elle avait voulu me convaincre que les laits en formule fabriqués en Amérique du Nord étaient un choix sain.
« Il faudrait parfois regarder les ingrédients », lui lançai-je d’un ton goguenard, tentant malgré tout de rester calme.
Elle me regarda alors, un peu perplexe, ses mains appuyées sur le comptoir de la cuisine, sous la lumière tamisée de l’après-midi. Évitant de la regarder de peur qu’elle ne lise la colère que je ressentais dans mon regard, j’ouvris la boîte que mon mari avait laissée au milieu de la cuisine, et en sortis, un à un, les contenants de lait en formule Hipp UK.
« Ça a dû coûter cher », dit-elle alors, les lèvres pincées.
« Pas plus que ce qu’on vend ici. Et puis, je ne vais pas sacrifier la santé de mes enfants pour économiser quelques dollars. » Ma voix était un peu acide, mais je ne pouvais pas faire semblant.
À mes yeux, c’était à mon mari et moi de faire les sacrifices : manger les fruits et légumes pleins de pesticides, cuisiner la viande de bœuf ou de poulet qui n’avait plus ni goût, ni vertu nutritive.
La vraie viande, la nourriture bio ? Elle était devenue inaccessible. Les pouvoirs en place s’étaient assurés que seuls les privilégiés pourraient s’en nourrir.
Mais je ne me résignerais pas à mon sort quand il s’agissait de mes bébés. Ces petits êtres vulnérables, qui n’avaient pas demandé à venir au monde, étaient désormais ma mission, mon combat. Ils étaient toute ma vie.